Il est des moments de l’Histoire qui nous sont totalement méconnus. Des moments que, ni même nos cours de lycée ne nous ont appris, ni même les médias, pourtant prolixes sur le sujet de la Seconde Guerre mondiale. Peut-être que des éminents spécialistes connaissent de quoi il est question dans ce roman de Julie Otsuka, mais ils se gardent d’en informer la plèbe. Et la question est de savoir pourquoi ?
Julie Otsuka a donc décidé de lever le voile sur une partie de cette Seconde Guerre mondiale. Pas de Juifs ni d’Allemands ici, mais il est tout de même question d’une population en souffrance. Aussi, on apprend qu’à la veille de la guerre, des Japonaises se marient à distance avec des Japonais résidant aux États-Unis. On apprend leur voyage, leur difficile séparation avec leur famille, que ces femmes, parfois très jeunes (14 ans), ne pensent plus jamais revoir. On apprend leur arrivée, leur découverte de leur mari imposé. Puis leur travail dans les champs, dans les exploitations, leur place de bonnes, d’épicières, de blanchisseuses, de prostituées.
Et la guerre arrive, les États-Unis entrent en conflit avec le Japon. Les Américains soupçonnent les Japonais d’être des espions. Commencent les arrestations arbitraires, les dénonciations, les innocents arrêtés, la crainte de ces femmes qui venaient tout juste de s’intégrer dans cette vie occidentale. Et puis un jour, la décision ultime du gouvernement américain : celle de déporter toutes les personnes d’ascendance japonaise. Tous se préparent pour un grand voyage, dont le but n’est pas défini. On parle de camps de rétention, éloignés dans les terres, au fin fond des États-Unis. Hommes, femmes, enfants, étudiants ayant été acceptés dans d’imminentes universités, orphelins ayant trouvé un toit et une famille, toute personne d’origine japonaise est déplacée vers un ailleurs bien mystérieux. Et tant pis pour l’intégration, tant pis pour le travail apporté par le passé, tant pis pour les liens créés, la décision est sans appel.
Et puis plus tard, les Américains finiront pas s’interroger « où sont-ils ? », regretter leur présence, calme et tranquille, toujours discrète. Les camarades d’école garderont les effets prêtés. Et puis un jour, l’oubli.
C’est donc tout ce que l’on apprend dans ces pages de Julie Otsuka, dont l’écriture, unique, pourra sans doute arrêter plus d’un lecteur. Julie Otsuka fait parler toutes ses femmes, toutes les expériences se mêlent, s’enchainent. Toutes ces femmes vivent à leur façon cette expérience difficile. Le rythme est limpide, dynamique, les voix s’entremêlent. Cette écriture originale se prête à ces révélations, elle délivre cet inconnu et suscite chez le lecteur bien des exclamations. Julie Otsuka sait également très bien retranscrire le calme, la discrétion, la simplicité de la culture japonaise, qui rend le moment du départ de la population encore plus poignant que si l’on avait entendu des pleurs et des cris.
Le roman de Julie Otsuka sera certainement une révélation pour beaucoup d’entre nous. Les populations déplacées ne l’ont pas été qu’en Europe. Et une question s’impose « Que sont-ils devenus ? »
Certaines n’avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka, Phébus (Domaine Etranger)